Cercles d’étude au service d’une intelligence collective

En évoquant les cercles d’étude, on court le risque qu’ils rappellent certaines méthodes de management du passé dont le nom commence par le mot cercle. Il n’en est rien, tout d’abord parce que ce serait une erreur que de qualifier le cercle d’étude de méthode. Il s’agit plutôt de créer, par la mise en place d’un cercle d’étude, un environnement aux contours clairs pour guider une action de changement systémique. Les cercles d’étude pourraient être plus justement présentés comme le substrat propice, voire incontournable, à ce qu’on nomme l’organisation apprenante et à la conduite collective d’un changement issu des apprentissages dans celle-ci. Le changement peut être à l’échelle des savoir-faire de l’entreprise, de ses processus, comme de ses orientations à l’égard des marchés, de l’évolution de ses services, ses produits, etc.

Un autre risque est couru lorsque les cercles d’étude sont évoqués. C’est le fait qu’ils se heurtent aux conceptions traditionnelles de pilotage de l’entreprise, ce qui pourrait induire une méfiance de la part des dirigeants. Mise à part une description succincte de ce qu’est la démarche du cercle d’étude, cet article plaide en faveur de leur déploiement pour servir un processus de changement organisationnel. Un processus qui paraît incontournable pour maintenir et développer la compétitivité des entreprises.

Le format Cercle d’étude
Les cercles d’étude étaient connus au début du XXe siècle dans les pays dont l’industrie se développait massivement à cet époque. Les pays nordique n’ont jamais abandonné ce format qui constitue encore aujourd’hui la forme la plus répandue de formation à laquelle participent les suédois adultes. Un intérêt renouvelé est observé depuis le milieu des années 1980 dans divers endroits du monde. Certains les ont rebaptisés « Cercles d’apprentissage » aux USA et en Australie, mais les principes qui les guident demeurent les mêmes. En France aussi, des cercles d’étude sont pratiqués, pour le moment à petite échelle. Cependant, c’est leur déploiement dans les organisations qui est véritablement novateur. C’est dans cette optique précisément que réside notre intérêt. Alors, quelles sont ses caractéristiques qui font la pertinence de ce format pour pratiquer un leadership partagé ?

Un cercle d’étude est mis en place soit à l’initiative de l’organisation, soit à la suite d’une proposition faite par une personne, un salarié par exemple. Un thème est proposée et ceux intéressés peuvent manifester leur souhait d’y participer. La participation à un cercle ne peut être imposée ; elle relève d’un choix personnel. Une fois que le nombre de personnes inscrites atteint idéalement 5 à 8 (au moins 3 et pas plus de 12), le cercle d’étude peut prendre corps. Le groupe se réunit régulièrement une ou deux fois par semaine pour un nombre de fois décidé au démarrage par ses participants. Les travaux du cercle ne doivent pas s’étioler dans le temps. Une vingtaine d’heures sont généralement suffisantes. Le thème de l’étude est bien sûr connu au départ, mais le programme de ce qui sera traité et de quelle manière il le sera ne sont pas définis à l’avance. Ce sont les participants qui décident leur programme, supports et techniques.

Les membres du groupe sont des personnes qui ont une préoccupation commune ou qui partagent un souhait de développer un savoir nouveau en rapport avec le thème de l’étude. Il se peut qu’il s’agisse d’un problème à résoudre ou d’imaginer de nouvelles procédures de production, par exemple.

Ce qui caractérise les cercles d’étude sont les principes qui guident leur fonctionnement. La place pour les détailler manque ici. Néanmoins, nous pouvons résumer l’esprit en évoquant quelques fondements tel que le fait que tous les participants sont considérés pareillement détenteurs de savoir qu’importe la fonction que la personne occupe dans l’entreprise. Les connaissances que chacun a, résultent des expériences passées. Elles sont partagées et mobilisées pour être bénéfiques à l’apprentissage du groupe. C’est par un dialogue qu’on partage ses compréhensions et qu’un sens est donné aux divers vécus professionnels et personnels. Pour que le partage soit authentique, chacun doit être en confiance. Pour partager ses pensées avec des personnes qui occupent des positions hiérarchiques différentes, les rapports doivent être horizontaux et sans jugement sur autrui. Ceci ne peut pas être décrété. Ce sont les principes du fonctionnement du cercle et l’acceptation que dans le cercle la hiérarchie n’a plus lieu d’être, que la confiance peut s’épanouir. Car en effet, c’est la diversité dans le cercle, en particulier la participation des personnes ayant des fonctions et responsabilités diverses, qui est la clé d’une intelligence collective permettant de quitter les sentiers battus des cadres de pensées habituels. Le caractère auto-gouvernant du cercle est ce qui pourvoit le groupe pour aller de l’avant de manière créative et d’élaborer un savoir nouveau pour conduire l’action qui prendra la suite, une fois les travaux du cercle terminés.

La réticence initiale à surmonter concerne la confiance que les responsables dans l’hiérarchie de l’organisation doivent pouvoir avoir dans le partage du leadership. Cette confiance dans la fertilité de la conjugaison de leurs savoirs de dirigeant avec ceux des autres, et réciproquement la confiance que chacun doit pouvoir avoir envers ses responsables dans la hiérarchie, est primordiale pour qu’une pensée nouvelle, originale est singulièrement adaptée aux buts de l’entreprise puisse s’épanouir.

Pour mettre en place cette confiance mutuelle et conduire les travaux du cercle, un facilitateur participe aux travaux du groupe. Son rôle est crucial, surtout pour veiller au respect des principes des cercles d’étude. Un facilitateur externe peut permettre la mise en place de cette nouvelle culture de co-management. Une fois que l’expérience est faite par les participants, d’autres pourraient en interne faciliter les travaux des cercles d’étude futurs.

Création de connaissance et intelligence collective
L’innovation est l’affaire de tous ceux qui sont impliqués et seront touchés par le changement. Car le changement pourra conduire aux services et produits améliorés ou différents, dont les processus pour les mettre en œuvre ou les produire seront modifiés. On doit tenir compte de plusieurs aspects liés à la fois à la volonté de changer et en même temps à la conduite elle-même de ce changement. Les aspects liés à la volonté sont d’ordre psychologique. Plutôt que d’utiliser des méthodes de coercition ou de récompense, une approche participative permet à chacun de se sentir acteur du changement à venir. Les choix qui seront faits, et le fait qu’on entende, qu’on considère et qu’on tienne compte des avis de chacun, permet non-seulement d’entrevoir toutes les conséquences sur les autres processus imbriqués en tenant compte de l’interdépendance entre personnes et compétences dans l’entreprise, mais aussi de satisfaire des besoins psychologiques de base. Ces besoins sont de se sentir affilié, respecté et relié aux autres, ce qui fonde le sentiment d’appartenance à la communauté, celle de son entreprise. Ce besoin est celui d’être reconnu pour ses compétences et pour sa contribution à l’œuvre commune qui est le but de l’entreprise. Le fait de se sentir compétent est directement lié à cette reconnaissance. L’autonomie y est directement touchée à son tour. Plus la reconnaissance des ses compétences et le lien avec les autres sont effectifs, plus les personnes seront engagées de manière proactive et responsable dans la poursuite de la réussite de l’entreprise, car elle reflétera leur réussite propre.

Par delà des aspect psychologiques, c’est l’intelligence collective issue d’une réflexion pan-dimensionnelle qui permet une adaptation et création optimales en vue d’aboutir à des solutions qu’aucun ne pourrait prétendre imaginer en agissant seul, sans risque d’échec. Le cercle d’étude fonde la culture d’une conduite partagée capable de faire face aux besoins d’adaptation, de renouvellement et de créativité qu’impose une compétitivité accrue.
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Pour citer cet article, indiquer: Kaplan J. (2013) Cercles d’étude au service d’une intelligence collective. [en ligne] Disponible sur : < https://edu.jonathan-kaplan.eu/pub-2/cercles-etude/ >
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